Refrain anti-étrangers comme programme de gouvernement du PDCI?
11 juin 2019Le seuil de l’intolérable a-t-il été franchi par le président du PDCI-RDA? Il a dénoncé, dans une vidéo publiée, une invasion étrangère sous camouflage de l’orpaillage clandestin ainsi que le convoyage d’étrangers à Abobo, à qui l’on fabriquerait des cartes nationales d’identité pour prendre part aux élections de 2020. Ils estiment que les ivoiriens qui seraient en train de se faire arracher leur pays, « n’accepteront jamais d’être des étrangers dans leur pays ».
L’ancien président qui avait promis à Yamoussoukro, devant 46 chefs traditionnels, la publication d’un programme de campagne, a préféré cette sortie qui en a surpris plus d’un.
Henri Konan Bédié semble vouloir surfer sur le nouveau sentiment anti-étranger qui se développe à nouveau en Côte d’Ivoire, comme pour en faire son véritable fonds de commerce, si ce n’est son programme. Est-il suivi ?
Jean Louis Billon, responsable de la propagande du PDCI-RDA, a été chargé d’assurer le service après-vente, de ce qui est apparu pour beaucoup comme un dérapage du vieux chef. Il a soutenu devant la presse que son président adore les étrangers. Pour lui, Bédié n’a fait que dire quelque chose qui est su de tous tant des « pans entiers de l’économie sont aux mains des étrangers ».Seulement, il ne dit pas pourquoi est-ce maintenant, en plein bisbilles avec le RHDP que le président du PDCI-RDA se souvient de ce détail qui ne date pas d’aujourd’hui.
En tout état de cause, il apparaît au regard des résultats du sondage initié par 7info.ci sur la polémique née après la victoire de Tara Guèye, Miss Côte d’Ivoire 2019, que Bédié sait sentir le sens du vent électoral. Près de 60% des personnes qui ont répondu à notre question « La polémique sur la nationalité de Miss Côte d’Ivoire est-elle justifiée? » ont répondu « oui ». Pour ces ivoiriens, juges de la nationalité de leurs compatriotes, l’Ivoirien répond à des critères : il devrait être du Sud ivoirien, ne pas avoir un nom à consonance nordiste, islamique ou proches de ceux que l’on trouve dans des pays de l’hinterland, voisins avec la Côte d’Ivoire, au Nord. Mais, pour Monsieur Billon, toujours pince-sans-rire, « les ivoiriens aiment les étrangers. »
Son président et ex-chef d’Etat, parle d’un « hold up sur la Côte d’Ivoire » de la part « d’étrangers armés ». En l’absence d’éléments tangibles sur les questions soulevées, éléments qui ne sont pas apparus lors de la Conférence de presse de Jean-Louis Billon, on se demande toujours quelle dangereuse mouche a piqué l’ancien allier d’Alassane Ouattara.
Est-ce ce dont les Ivoiriens ont le plus besoin, quoiqu’il soit normal de maîtriser les flux migratoires dans un pays ? La Côte d’Ivoire, de par son histoire, a bénéficié de l’immigration de développement voulue par le colonisateur français. Burkinabè et maliens ont été convoyés sur les bords de l’océan atlantique pour les travaux du port d’Abidjan, dans les plantations de café-cacao, servir de main d’œuvre pour ce pays agricole. Une politique reprise et amplifiée par le père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët-Boigny. Ces positions ne sont-elles pas surprenante de la part de ceux qui revendiquent le plus fort l’héritage du premier Président Ivoirien?
Henri Konan Bédié évoque l’orpaillage clandestin comme couvert de cette ruée de pistoleros arrivés du Nord pour servir de bétail électoral et bras séculiers de confiscation du pouvoir politique par le RHDP qu’il n’ose nommer. Belle découverte que l’orpaillage clandestin ! Belle facilité aussi de s’appuyer sur un problème réel et grave, mais ancien, pour servir une politique court-termiste. Un problème plus complexe qu’il n’y parait et contre lequel les gouvernements auxquels le PDCI a participé ne sont pas restés inertes. Est-ce la nouvelle aventure d’opposant du président du PDCI-RDA qui lui fait soudain pousser des ailes de parangon du nettoyage du secteur minier en Côte d’Ivoire?
Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’aucun orpailleur, fut-il non national, ne s’installe sur une portion de terre sans avis favorable des propriétaires terriens qui souvent même, les invitent à venir pour cette exploitation dont ils tirent de juteux revenus. Oui, le problème est plus complexe que ne le dit HKB.
Mais, le vieux président l’a bien compris. En se rapprochant de la frange des pro-Gbagbo les plus en pointe dans ce combat contre les étrangers, et en l’absence de Laurent Gbagbo toujours aux mains de la justice internationale, il espère trouver les bonnes grâces de ces ultra-nationalistes. Il essaie par la même de constituer une grande alliance « Tous contre Ouattara! ». C’est de la politique et personne ne peut lui contester ce droit. Mais il l’a dit aussi, « le moment venu », ses ouailles devront se lever pour faire front. Ça rappelle bien un discours entendu dans ce pays avec les conséquences que l’on connaît. Henri Konan Bédié pense jouer sa partition mais il joue en réalité avec le feu. Personne ne pourra dire « on ne savait pas ».
Par Adam’s Régis SOUAGA